jeudi 12 août 2010

« Sa Majesté a eu un rhume »

Cher Vandevoorde,
La lecture fin décembre du 29ème bulletin de la Grande Armée a dû effrayer ta famille comme celles de tous les soldats partis pour la Russie. Mais en ce début d’année 1813, c’est entre les lignes qu’ils doivent tenter de se faire une idée de la situation.
Ainsi le Moniteur Universel du 7 janvier – lu à la Fondation Napoléon - donne à la une des nouvelles en provenance du grand duché de Varsovie du « complètement de notre armée » auquel s’est attelé le prince Joseph Poniatowski. « 25.000 ( ?) conscrits arrivent chaque jour au dépôt ». Pour remplacer combien de morts ?
Et je les imagine dans la lecture de chaque édition, apprenant le 8 janvier, que « Sa Majesté a eu un rhume qui l’a obligé de garder quelques temps l’intérieur de ses appartements » ou le 15 que l’Empereur a signé un décret sur la direction et la surveillance du théâtre français.

Le 14 février, ton père a peut-être cherché à en savoir plus sur ton sort en lisant cette lettre de Davout adressée au major général et datée du 8 janvier:
« Je lis avec étonnement dans les gazettes de Saint-Petersbourg que dans la journée du 16 novembre l’ennemi à fait 12.000 prisonniers dans mon corps d’armée. Et qu’il a tellement éparpillé dans les bois voisins les restes de ce corps qu’il est entièrement détruit.
Il serait difficile de pousser plus loin l’impudence et le mensonge mais mon corps n’a pas rencontré l’ennemi qu’il ne l’ait battu. Il a fait des pertes très fortes par les fatigues, le froid, et cette fatalité qui a fait périr tous nos chevaux de cavalerie et d’artillerie. Une grande quantité de mes hommes s’est éparpillée pour chercher des refuges contre la rigueur du froid et beaucoup ont été pris. Votre Altesse sait que je ne dissimule pas mes pertes ; elles sont sensibles sans doute et me navrent de douleur, mais la gloire des armes de Sa Majesté n’a pas été compromise un seul instant. »
« Des pertes très fortes », « sensibles » écrit Davout sans donner de chiffres. Et ce mot figure dans toutes les éditions du Moniteur Universel, dans toutes les déclarations municipales de soutien à l’empereur, qui s’affichent en colonnes pendant des semaines jusqu’à la fin mars. Une mobilisation «spontanée» orchestrée vraisemblablement par Napoléon lui-même par l’intermédiaire des préfets.

Ainsi le 25 janvier, celle du conseil municipal de ta ville de Lille :
« Lorsque les habitants de votre bonne ville de Lille ont appris les désastres causés dans votre armée par la rigueur des saisons, ils ont éprouvé le besoin d’offrir à Votre Majesté leurs bras et leurs fortunes pour réparer des pertes imprévues ; le conseil municipal de votre bonne ville de Lille supplie Votre Majesté Impériale bien vouloir agréer cinquante cavaliers équipés et montés. »
A chacun selon ses moyens. Le 31 janvier, Montargis «à peine instruits que l’intempérie des saisons avait fait éprouver à vos armées » offre un cavalier.
Toulouse le 1er février « partage avec tous les Français le désir de contribuer à réparer les pertes que la rigueur des saisons a fait éprouver à nos armées » et offre 30 chasseurs monté et équipes et armés.
Le 2 février, la ville de Dordrecht, selon ses propres mots, « rivalise de zèle avec les ainés de la grande famille, supplie Votre Majesté de l’autoriser à lui offrir douze cavaliers montés et équipés ».
Mont- de-Marsan sur la même page à propos de l’ennemi : « Oserait-il regarder comme un triomphe les pertes que l’intempérie de la saison et l’âpreté du climat ont seuls causés à votre armée ». Elle offre 3 cavaliers « montés et équipés ».

Et ainsi de suite. Le désastre ne fait plus de doute. Mais personne ne se risque à tenter de calculer le nombre des morts. Presque 200 ans après, le chiffre exact fait toujours débat.