vendredi 25 mars 2011

Un shako "absolument identique"

Cher cousin
Il y a déjà plusieurs mois que j’ai commencé à te raconter l’histoire du charnier de Vilnius, celle de ta mort et de celle de plusieurs dizaines de milliers de soldats de la Grande Armée dans la capitale de la Lituanie en décembre 1812, la découverte de vos squelettes à l’automne 2001 et leur identification grâce à une pièce de cinq francs en argent et à une cocarde en cuir.
Cette découverte, ce sera pour nous la relance d’une quête familiale. Et pour les chercheurs français qui vont très vite se rendre sur place, un rendez vous avec le passé qu’ils n’oublieront sans doute jamais.
D’autant que ce qu’ils vont découvrir dans les trois fosses étudiées, les « Plotas » 1, 2 et 3, va dépasser leurs espérances.
 Au cours d’une conférence donnée en  décembre 2009 aux Invalides, Thierry Vette du Musée de l’Armée, parlera avec émotion d’un "miracle en matière d’uniformes".  Un miracle grâce à 10.000 boutons en cuivre,  je dis bien en cuivre, cher cousin,  ceux en étain n’ont pas résisté aux conditions climatiques. Ces 10.000 boutons, en cuivre  j’insiste, ont permis  le sauvetage de très nombreux  vestiges d’uniformes car  leur oxydation "en contaminant les fibres, a écarté les micro-organismes voraces" comme l’explique le même Thierry Vette dans Les oubliés de la retraite de Russie.
 En plus des boutons,  4000 pièces liées à vos uniformes ont été découverts; la plus belle, un vestige de dolman qui appartenait (peut-être) à un maréchal de logis de l’artillerie à cheval de la garde. Le seul homme de ce grade déclaré mort à Vilnius s’appelait Joseph Barbier, il venait de Haute Marne. A-t-il encore de la famille ?
Mais il y avait aussi des lambeaux d’uniformes à la hussarde dont des parties de tenues d’officier,  un gilet et une pelisse, des portions de vestes de l’infanterie,  des morceaux de guêtres, des restes de chaussettes,  trois bottes avec leurs semelles complètes, mais aussi des chaussures où on distingue  encore l’empreinte des pieds de ceux qui les portaient  il y a presque deux cents ans.
Chaussures exposées au Musée national de Lituanie
©SJ
Enfin le plus émouvant pour nous,  les restes de trois shakos, dont l’un  appartenait à un soldat de ton régiment, le 21ème de ligne.
Puisque le tribunal de Lille a jugé en mars 1825 qu’il était « suffisamment prouvé », que tu étais mort à Vilnius, c’était peut-être le tien.
Il a fallu deux ans de travail pour reconstituer ce shako  à partir de  quelques fragments ainsi décrits: «Un corps en feutre, son bourdalou avec la boucle à ardillon de réglage du tour de tête, des portions des jugulaires à écaille qui maintenaient la coiffure» et surtout «la plaque du shako avec soubassement en forme de bouclier à l’antique, surmontée de têtes de lion sur lesquelles reposaient les vestiges de l’aigle impérial…Quant à la cocarde en cuir gaufré, elle arborait toujours ses couleurs bleu blanc rouge…»
Un shako « absolument identique » à celui de ton portrait,  "absolument identique", ce sont là encore, les mots de ce livre référence.  
L’été dernier, je suis allée à Vilnius – non je n’y suis pas allée à pied - pour le voir avant même qu’il soit présenté dans la grande salle d’exposition du Musée national de Lituanie. Ce shako du 21ème de ligne, restauré, a été extrait d’un carton rose, et j’ai eu la chance de pouvoir le tenir dans mes mains.

"Ton" shako reconstitué
©SJ

Qu’est-ce que je peux te dire encore ? Qu’en plus des objets liés aux uniformes,  ont été extraits de ces fosses des pièces de monnaie, un peigne pliable d’officier, des alliances et des boucles d’oreilles et des balles, des silex, mais non désolée, il n’avait aucun fusil. J’ai lu quelque part qu’ils étaient gravés au nom de leur possesseur.  Où as-tu laissé ton arme, cher cousin ?