mercredi 16 mars 2011

Les squelettes de Vilnius


Cher cousin,
Il y a huit jours,  je suis arrivée à un cheveu de trouver enfin la réponse à une question qui m’obsède depuis des mois ;  pourquoi après s’être partagée ta part de l’héritage Castrique en 1820, la famille a-t-elle continué à multiplier les procédures jusqu’à  réussir à faire enregistrer ton acte de décès en mars 1825 ?
Ce mardi là aux Archives Départementales du Nord,  j’explorais donc une nouvelle piste, celle de l’enregistrement de tous les actes par l’administration dans le but de percevoir des taxes. Et dans un registre des recettes, j’avais eu le plaisir de trouver  mention de l’enregistrement de ta succession en août 1825. Il n’y avait plus qu’à consulter, pour cette période, le registre des successions. Mais malheureusement,  ce registre coté 3Q 318-40 a été prêté  à une exposition consacrée à François Charles Bransiaux, un notable du XIXème siècle, une exposition  qui se tient jusqu’en septembre prochain à Roubaix…
Même si je ne désespère pas de pouvoir feuilleter ce registre capital avant octobre,  me voilà donc, après avoir trainé des pieds, quasi obligée d’aborder avec toi un sujet pas facile, celui du charnier de Vilnius ; ces milliers de squelettes – dont peut-être le tien- découvert à la fin de l’année  2001  dans la capitale de la Lituanie.
Mais comment parler de ses ossements à un cousin mort il y a presque 199 ans. Une fois encore, tu  n’es pas obligé de me lire… Ni surtout de regarder les photos…
Des squelettes dans le fond d'une fosse
©CNRS
Car je te le disais, il y a une éventualité, que ton squelette figure parmi ceux qui ont été découverts à Vilnius, soigneusement étudiés avant d’être réinhumés dans le cimetière militaire d’Antakalnis.

Prenons donc dans l’ordre. A l’automne 2001, des ouvriers lituaniens qui travaillent à la construction d’un nouveau quartier dans le nord de la ville, mettent à jour, des ossements humains.  En cette terre lituanienne épicentre de très nombreuses batailles, et de drames liés à des occupations successives, soviétique, nazie et puis soviétique à nouveau, ils seront identifiés grâce à une pièce de cinq franc en argent et à une cocarde ; ce sont tes frères d’armes, les soldats de la Grande Armée, « Les  oubliés de la retraite de Russie » pour reprendre le titre du livre qui fait référence sur cette découverte. Un livre signé Michel Signoli, Thierry Vette, Olivier Dutour et Yann Ardagna, et dans lequel tu peux avoir la fierté posthume, cher cousin, de découvrir ton portrait.
A la toute fin de ce livre, la très longue liste des régiments représentés. Il y a là les squelettes de soldats de 44 régiments de ligne, dont le tien, le 21ème ;  je pourrais aussi te citer les  19ème et le 72ème où étaient incorporés d’autres conscrits du nord.
Mais il y avait aussi des régiments d’artillerie, de dragons, de chevau-légers et de ouvriers militaires de la marine, sans oublier des régiments italiens, espagnols ; hollandais, suisses et prussiens.
C’est une découverte considérable, tu t’en doutes, cher cousin, une lettre n’y suffira pas…