vendredi 29 mars 2013

Napoléon, l'Europe et toi

Cher cousin,

De là où tu es, tu sais peut-être déjà que nous avons eu l’immense honneur d’accompagner l’original de ton petit portrait au Musée de l’Armée dans l’Hôtel national desInvalides. Après avoir bénéficié de tous les soins et de toutes les attentions, il y est exposé dans le cadre de la grande exposition Napoléon et l’Europe qui se tient jusqu’au 14 juillet.  Tu n’as jamais sans doute été aussi près de ton Empereur.
Cette très belle exposition a été inaugurée ce mardi par le ministre de la Guerre, aujourd’hui on dit le ministre de la Défense.  S’il n’était pas  reparti très vite après son discours, « appelé en urgence chez le président de la République», je lui aurais parlé de tes arriérés de solde.
Puisqu’il semble bien que vous n’avez rien touché pendant toute la campagne de Russie, j’ai compté 30 centimes par jour du passage du Niémen le 24 juin à ta mort le 8 décembre. 
Ce qui nous fait un peu plus de 50 francs de ton époque, un peu plus de 328 euros d’aujourd’hui. Sans compter les suppléments de guerre...
Mais de toute façon, nous ne pensions rien réclamer. La France n’a plus un sous.

Mais revenons à cette vitrine dans laquelle tu te sens peut-être un peu seul.  Tu aurais dû y être rejoint par un soldat du 3e régiment d’infanterie de ligne, un Bavarois nommé  Hans Huber.  Lui aussi disparu pendant la campagne de Russie. Vous auriez pu échanger vos expériences.  Mais il n’est pas fréquentable, son cadre en bois a été attaqué, non par des cosaques, ni même comme vous par des poux,  mais par des insectes xylophages. A ma prochaine visite, lui devrait donc se retrouver dans la vitrine, et toi dans un beau cadre.

mercredi 25 janvier 2012

Un héros très discret

Cher cousin,

Je reprends ma plume pour t’écrire parce qu’il s’est passé un petit évènement qui devrait t’intéresser. Tu n’as bien sûr pas oublié ton ami Georges Dujardin, ce conscrit de Hem, canton de Lannoy qui avait rejoint en même temps que toi le 21e de ligne. Il avait hérité du matricule 5547, toi du 5559. Tu dois te rappeler qu’il avait été blessé à la jambe gauche à Wagram.

A la fin de la Retraite, après le passage de la Bérézina, sans doute à Vilnius, il avait été fait prisonnier par les Russes. Tu n’étais plus là pour le voir mais il avait réintégré le 21ème régiment de ligne en décembre 1814. Ensuite il a dû toucher un arriéré de soldes pour tout le temps de la captivité et trois de gratifications comme l’avait décidé Louis XVIII.

mercredi 14 septembre 2011

Amis d’il y a 200 ans, rejoignez-nous !

Cher cousin

Depuis que tu t’es lancé dans cette aventure d’avoir ton propre blog, ta page Facebook et ton compte twitter, je vais de surprise en surprise. J’avais bien compris ton intention de raconter toi-même au jour le jour ta Campagne de Russie, de dépasser les enjeux diplomatiques, de parler des hommes dans la guerre au-delà des je t’aime moi non plus dans les salons de Saint-Pétersbourg puis dans Moscou en feu façon Guerre et Paix, bref de faire à toi tout seul mieux que  Léon Tolstoï…
Mais je ne pensais pas que cela te permettrait de retrouver sur le net un si grand nombre de tes contemporains que tu n’as sans doute pas côtoyés à l’époque…
Ainsi dans ta cinquantaine d’amis, 2 Napoléon Bonaparte, une Joséphine de Beauharnais, le grand maréchal du palais Géraud Duroc, des Maréchaux d’empire dont Michel Ney et  Jean-Marie Bessières, le général-diplomate Armand Augustin de Caulaincourt, 2 Eugène de Beauharnais et sans doute cher à ton cœur,   le colonel César Charles Etienne Gudin qui a commandé la 3ème division à laquelle appartenait ton régiment. Sans oublier entre autres un fusilier grenadier, et un grognard.
Et surtout le très sympathique général Andoche Junot qui court après un bâton de maréchal,  entre nous -  mais ne lui dit pas -  il ne l’aura jamais. Ne manque que le maréchal Davout. Mais il faut bien l’avouer, Facebook, ce n’est pas du tout son genre.
Bref, c’est un plaisir…

J’ai aussi noté  que tu t’amuses maintenant à donner des leçons d’instructions aux blancs-becs d’aujourd’hui. Franchement, cher cousin, si l’armée te manque autant, tu devrais prendre le risque de te présenter à nouveau au cantonnement de ton régiment…

lundi 15 août 2011

La Retraite de Russie t’a tué

Cher cousin,
Je n’ai pas l’intention d’arrêter de t’écrire d’autant que nous entrons dans le vif du sujet. En cette fin d’été d’il y a deux cents ans, les rumeurs d’une prochaine guerre en Russie commencent à se répandre dans tout l’empire. Mais je vais le faire un peu moins car il est temps de te laisser la plume. Tu as désormais ton propre blog, (pour passer d'un blog à l'autre, il suffit de cliquer sur ton portrait!) Mais aussi une page Facebook et un compte Twitter. Autant d’armes à ta disposition – en plus de ton fusil modèle 1777 – pour non seulement faire la guerre, mais aussi la raconter. Ne t’inquiètes pas, tu y arriveras très bien. Personne n’attend de toi de profondes analyses diplomatiques, ou stratégiques, ni une vue globale des opérations.  Restes là où tu es, sois attentif, lis les journaux, écoutes les rumeurs, ne mens pas comme un Bulletin  et surtout prends garde à toi…
Je reste bien sûr à ta disposition pour t’apporter toute l’aide nécessaire.

mercredi 20 juillet 2011

"Cuisinier de l'Empereur"

Cher cousin,

Si je me propose aujourd’hui de t’emmener dans les cuisines impériales, je préfère de dire tout de suite qu’il ne s’agit pas là  de « ton » Empereur, ni de son fils Napoléon, François, Joseph, Charles (1811-1821) qui ne régna que vingt jours,  et fut surnommé l’Aiglon par un Victor Hugo nostalgique de l’Aigle, (il était lui-même fils d’un général d’empire). Mais  d’un Napoléon numéro 3 dit Le Petit, ou « le tyran pygmée d'un grand peuple » par le même Victor Hugo cette fois très en colère après le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Mais c’est une autre histoire. Revenons donc à la nôtre.
« Cuisinier de l’Empereur », c’était la profession indiquée à coté du nom de Victor Mélino, dans l’un des documents de la succession de son père en 1859.  


Victor, Cuisinier de l'Empereur
Ce nom ne t’évoque rien ? C’est normal, tu ne pouvais pas le connaitre, il est né en 1823, et tu es mort – je suis désolée de te le rappeler – à la fin de l’année 1812. Mais j’ai toujours pensé que tu avais fréquenté son père Louis Mélino, d’abord (peut-être) enfant rue des Arts  à Lille où travaillaient vos mères, puis (peut-être) quand il a commencé à fréquenter ta cousine Catherine Ribeyre avant de l’épouser, ou quand il a (peut-être) réalisé ton petit portrait des années avant qu’il ne réussisse  à obtenir l’enregistrement de ton acte de décès à la mairie de Lille en mars 1825.
Bref c’est un des personnages clés de ton histoire, de notre histoire commune. Et la découverte, il y a quelques semaines seulement qu’il avait un fils dont la profession était « Cuisinier de l’Empereur » m’avait à la fois ravie et surprise. Que cela ne figure pas dans notre mythologie familiale était étonnant.  Papa  parlait de toi, son parent porté disparu pendant la Retraite de Russie, ou encore du père de Louis Mélino conducteur de charrois dans l’Armée du Nord ; jamais il n’aurait laissé oublier un arrière-grand oncle « Cuisinier de l’Empereur ».

jeudi 23 juin 2011

Trois héritages

Cher cousin,
Le doute a enfin été levé. Comme je le pensais depuis plusieurs mois, ce n’était pas un mais deux héritages qui t’attendaient à ton retour de la Campagne de Russie. Encore eût-il fallu que tu y survécusses, comme aurait pu l’écrire dans ses Mémoires la duchesse d’Abrantès.
Si le froid, la faim et les combats t’avaient épargné,  tu aurais pu hériter de ton père décédé en février 1814, puis d’un rentier d’Armentières, un cousin de ta grand-mère Scholastique Castrique, mort quelques mois plus tard.
Le second héritage était beaucoup plus important que le premier, mais les héritiers étaient, eux aussi,  plus nombreux. Dans son testament, Joseph François Xavier Castrique, sans enfants, avait couché aussi bien ses parents du coté de sa mère Julie Picavet, les Dennequin Jean Baptiste et Albertine Félicité ainsi que Jean Lermitte, que les descendants du frère de son père, Pierre François Castrique.
Tu sais déjà que tout bien compté,  ta part de l’héritage Castrique s’élevait à 846,76 francs plus deux services d’argenterie, et quelques boucles ( ?).  Et tu connais l’histoire du curateur Louis Bernier et de sa dette que devront payer ses enfants à partir de 1820.
L’héritage de ton père va rester longtemps plus mystérieux, faute d’archives familiales. Je sais que tu en étais le seul héritier,  ta mère Claire Bernardine Ribeyre  (parfois prénommée Eléonore)  est décédée quand tu avais dix ans, tes sœurs Scholastique et Sophie, et ton frère Henri n’ont jamais fêté leurs deux ans.
Quand il meurt en février  1814, le curateur Mathias Bin (ou Hin) fait procéder à la vente publique de son appartement d’une seule pièce, rue Lepelletier à Lille. Le registre des Mutations et Hypothèques conservé aux Archives départementales du Nord mentionne la somme de 902 francs.

Il n’en sera plus question avant la décision du Tribunal de Lille qui va juger en mars 1825 ta mort « suffisamment prouvée », permettre ainsi l’enregistrement de ton décès à l’état-civil et donc ouvrir ta succession.

mardi 31 mai 2011

A Vilnius, dans les traces de tes pas

Cher cousin,

Désolée, vraiment désolée. C’est la première fois que je laisse défiler autant de jours – presque un mois - sans t’écrire mais il se passe en cette année 2011 des évènements si extraordinaires que j’ai eu peu de temps pour penser à toi ; le dernier en date, l’embastillement dans  la lointaine Amérique pour une affaire de mœurs d’une très célèbre personnalité française, un Napoléon de la finance internationale qui aurait pu l’année prochaine être élu président de la République…
Je voulais aussi de parler des dernières informations que j’ai reçues sur ton héritage, ou plutôt sur ta succession, mais là encore j’ai manqué de temps pour tout remettre dans l’ordre…
Ré-inhumation officielle en juin 2003 des squelettes découverts à Vilnius©Professeur Olivier Dutour
En attendant,  je te propose de retourner à Vilnius.  Depuis ma dernière lettre,  j’espère que tu as pardonné mon absence à la très belle cérémonie de ta ré-inhumation officielle.  Mais j’étais bien décidée à faire le voyage, et l’été dernier, j’ai profité de l’organisation d’une exposition autour des objets découverts dans les fosses pour me décider à réserver une place dans un avion*  et une chambre dans un hôtel.

lundi 2 mai 2011

"Mort pour la France" ?

Cher cousin,
Alors là, je le vois bien, j’ai réussi à t’énerver dés le titre de cette lettre…Drôle d’idée d’ailleurs de donner un titre à une lettre… Mais passons,  tu ronchonnes sous ton shako comme le Grognard que tu étais contre le point d’interrogation que j’ai volontairement placé après l’expression « Mort pour la France ».
Et tu t’emportes pour la première fois : comment toi et des frères d’armes, soldats  de l’Empire  français, dont la conscription dépendait de votes du Sénat et était organisé par les préfets, vous qui avez combattu et risqué vos vies sur tous les champs de bataille sous les ordres de l’Empereur des Français, comment pourriez-vous ne pas être morts pour la France?
Et pourtant cher cousin, cette question n’est ni totalement absurde, ni même purement  théorique ; elle s’est même posée dés qu’il a été avéré que vos squelettes, ceux découverts à Vilnius étaient bien ceux de soldats de la Grande Armée.

Mort pour la France, quand même
©SJ

Et la réponse a été non. Même si vous étiez de fait morts pour la France, vous n’étiez  pas « morts pour la France », tout simplement parce que cette mention n’existait pas. Elle n’a été instituée que par la loi du 2 juillet 1915. Il y avait à l’époque une guerre entre l’Allemagne et la France, une guerre devenue mondiale qui reste dans l’histoire comme une épouvantable boucherie.
Il avait donc été décidé de prévoir une reconnaissance de la Nation pour les militaires tués à l’ennemi, ou morts de blessures de guerre, de maladie ou d’accident en service, en temps de guerre… Une reconnaissance avec des droits dont vous n’avez pas bénéficié à titre rétroactif.

mercredi 13 avril 2011

Morts mais en "bon état de santé"


Cher cousin,
Cette lettre comme toutes les autres, j’ai essayé de te l’écrire «avec le respect que les vivants doivent aux morts» selon l’expression qui caractérisera le méticuleux travail des chercheurs lituaniens et français qui ont étudié les squelettes, vos squelettes, découverts à Vilnius.
Et eux avaient sur moi l’avantage de n’en connaitre aucun, personnellement…Enfin autant que l’on puisse connaitre le cousin d’une arrière-arrière-arrière grand –mère, mort il y aura 200 ans l’année prochaine.
Mais voilà, je te fréquente depuis toujours… et t’écrire ces derniers mois nous a, tu l’avoueras, considérablement rapprochés.
Bref, je vais te parler de toi, ou plutôt de ce qui est resté de toi et de tes compagnons d’armes quand vous avez quitté ce monde, avec l’aide une fois de plus du livre «Les oubliés de la retraite de Russie ».
Une image d’abord, celle de milliers de sacs en plastiques entassés dans la salle d’anatomie de la faculté de médecine de Vilnius. A l’intérieur, des os. Les uns contiennent les restes d’un homme, les autres des mélanges, en vrac.