lundi 25 octobre 2010

Louis Mélino et le portrait mystère


Cher cousin
Je vais essayer de faire appel à ta mémoire. Quand tu étais enfant, ta mère était dentellière, rue des Arts à Lille. A proximité, il y avait l’atelier d’une couturière qui, elle aussi, avait  un fils, de trois années plus jeune que toi ; il s’appelait Louis Mélino. Est-ce que tu le connaissais ? Son père était cocher, il devait raconter ses souvenirs de l’Armée du Nord où il avait été conducteur de charrois. Est-ce que tu t’en souviens ? Je ne peux malheureusement pas te le décrire, ni enfant, ni jeune homme, ni même adulte, je n’ai trouvé aucun portrait de lui.
 En 1821, Louis Mélino est entré dans la famille en épousant l’une de tes cousines,  Catherine Thérèse Ribeyre, l’une des filles de ton oncle Christophe Jacques Ribeyre. Et ils se sont installés chez les parents du marié, toujours  rue des Arts.
Catherine Ribeyre-Mélino  a d’ailleurs été l’un de tes héritières. C’est une affaire que je te raconterai bientôt, peut-être la semaine prochaine. En 1824, Louis Mélino  a écrit au  ministère de la guerre pour l’interroger sur ton cas et a reçu en réponse un extrait de ton registre-matricule avec cette formule : « On n’a trouvé dans les bureaux aucun acte de décès applicable au sieur Vandevoorde ». Et l’année suivante, il avait payé 25 francs à Georges Dujardin pour son témoignage sur les conditions de ta mort à Vilnius, ce qui a permis l’inscription à l’état-civil de ton acte de décès. 
Pourquoi toutes ces questions ? Parce que depuis toujours, nous nous transmettons de génération en génération,  le petit portrait qui illustre  ce blog. Ce soldat du 21ème régiment de ligne, nous pensons que c’est toi. Mais nous ignorons l’origine de cette gravure. Or, Louis Mélino était graveur... Pourrait-il être en être l’auteur ?
Le portrait, ce n’est pourtant  pas sa spécialité. Son œuvre est « presque exclusivement liée à la vie des associations et des Sociétés de Secours Mutuels à l'époque de la Restauration et de la Monarchie de juillet » précise la Bibliothèque numérique de Lille qui en présente une très belle collection. Il est surtout connu pour ses blasons, les blasons de « Mélino ».
« Le blason de "Mélino" est une petite gravure en taille-douce d'environ quinze centimètres de hauteur sur huit à neuf centimètres de largeur, imprimée sur du papier fin, puis coloriée de couleurs vives et collée sur un carton fort. Il est ensuite découpé sous forme festonnée suivant le contour de la gravure. La dernière opération consiste à coller au dos du blason la plume qui sert à le porter » explique sur son site la librairie ancienne de Lille, Vauban Collections. Il y est également précisé que des années après la mort de Mélino, ces blasons « faisaient l'objet d'études et de collections, et que le poète Desrousseaux*  parlait déjà de ces petites images.

Dans les archives de la famille...

 
Un siècle plus tard, ma propre grand-mère s’enorgueillissait d’une exposition sur l’Imagerie de Lille présentée du 13 février au 14 mai 1958 au Musée des arts et traditions populaires du Palais de Chaillot après l’avoir été au Palais des Beaux Arts de Lille.
Elle avait même gardé un article publié par le Figaro du 5 mars de la même année où il était écrit qu’il fallait « tout spécialement retenir le nom de Louis Mélino, qui au début du XIXe siècle, exécuta des gravures sur cuivre d’une qualité et d’un esprit exceptionnels, faisant parfois penser à l’art de Laboureur dont il a l’acuité et la fantaisie ».
J’ai aussi pu feuilleter à la Bibliothèque de Lille les treize pages qui lui sont consacrées dans le tome 1 de « L’imagerie populaire française ».

...ces deux dessins non datés

 Aucune de ces petites images ne ressemble à ton portrait. Mais tu commences sans doute à me connaître, il en faut plus pour m’arrêter quand j’ai une idée dernière la tête… Si Louis Mélino se spécialise dans les blasons dans les années 1820, il a alors 30 ans, pourquoi n’aurait-il pas exercé son art dans d’autres domaines, jusque là ? Pourquoi ne pas faire le portrait de son ami Vandevoorde, si vous vous connaissiez ? Il aurait pu réaliser ce portrait quand tu as déserté en 1811, si comme je le pense tu es rentré chez toi à Lille. Cette hypothèse permettrait de répondre à au moins deux questions, celle de la rareté de ce type de gravure pour un simple soldat, et  celle de la possession de cette image par la famille. J’aurais même dû écrire mystère avec un « s » car ThierryV, du Musée de l’Armée m’a fait remarquer un jour le  petit ruban bleu que tu portes à la main gauche. T’étais-tu fiancé pendant cette visite à Lille, cher cousin ? Est-ce que ce portrait s’explique par cet évènement ?
Là encore, je le sais, mes questions vont rester sans réponse. Je peux juste te  préciser  que Catherine Ribeyre est morte le 11 septembre 1844. Elle habitait toujours rue des Arts, au 11 ou au 33, l’acte de décès était mal écrit. Mais il stipule que son décès s’est produit la veille, à 2h30 du matin, selon Martial Mobercy ou Aubercy,  un cabaretier et Antoine Duthoit, un marchand de pain d’épices. Pas de commentaire, s'il te plait, sur son éventuelle présence dans un cabaret en pleine nuit...


Devenu veuf en 1851 ( ?) comme le précisent les notices qui lui sont consacrées,  Louis Mélino  s’est remarié  avec Marie-Louis Génicot, âgée de 36 ans, cuisinière et originaire de Bruxelles.

 Lui est mort le 22 mars 1859. Son décès a été a annoncé par Ferdinand Crépin, épicier âgé de 53 ans et Benoit Lebleu, journalier âgé de 31 ans tous deux domiciliés à Lille, voisins du défunt, décédé au 8 rue des Arts, « les déclarants ayant dit ne savoir écrire ».


Louis Mélino et Catherine Ribeyre  auront deux enfants, un garçon nommé Louis Druon né en octobre 1830, et une fille, Thérèse Julie née en mai 1825.  Elle épousera Alphonse Bernard, mécanicien au Chemins de Fer du Nord. Elle était en avance pour son époque puisqu’elle travaillait. Elle était débitante de tabac, et en 1871, elle recevra pour cela un « pafse-port » valable pour un an pour circuler de Lille à Paris. Ils étaient mes arrières-arrières-grands parents.


 *Alexandre Desrousseaux,  né en 1820, dans le quartier Saint-Sauveur  à Lille, est célèbre pour être le père du  «  P'tit Quinquin ", l'hymne des gens du Nord, une berceuse crée en 1853 et écrite en patois lillois.

D’autres informations sur les Blasons de Mélino dans un livre de Nicole Garnier, «  L'Imagerie populaire française, tome I et tome 2.