mercredi 3 novembre 2010

Drôle de plumet

Cher  cousin,
Tu ne vas peut-être pas me croire mais j’ai passé plusieurs heures hier après-midi à feuilleter des livres consacrés aux uniformes sous l’empire, et notamment à ceux de l’infanterie de ligne. C’est un sujet que Napoléon jugeait très important : «Il faut que le soldat aime son état, qu’il y place ses goûts et son honneur, voilà pourquoi de beaux uniformes sont utiles car un rien, souvent, fait tenir ferme au feu des gens qui sans cela n’y resteraient pas »  avait-il dit, je ne sais pas trop quand.  Il s’est donc occupé de votre habillage avec la minutie et le souci d’ordre qu’il accordait à tout.
Ainsi «au début de 1806, devant la rareté de l’indigo, l’empereur décida de donner l’habit blanc à son infanterie» comme le raconte le commandant Eugène Louis Bucquoy dans « Les uniformes du premier empire ». Mais «en réalité l’habit blanc ne fut donné qu’à une vingtaine de régiments…» Parmi ceux qui devaient «débuter le remplacement de leur habit en 1807 afin de l’achever  en 1809 », ton régiment, le 21ème de ligne.  As-tu porté cet habit blanc, cher cousin ? En tout cas sur le portrait, tu es en bleu. Et l’habit blanc fut « supprimé en octobre 1807 ». Bucquoy précise tout de même qu’on en trouvait encore en «1812 en Espagne».
Autre exemple, c’est encore Napoléon qui décide en février 2006, par décret impérial qu’à partir de l’année suivante, «le shako sera la coiffure de l’infanterie de ligne».
Le 27 mars suivant, le ministre de l’Administration de la Guerre adresse aux Conseils d’administration des corps à pied de toutes les armes la  description très précise de cette coiffure : «Le feutre aura 18 cm de  hauteurs  sur 23 cm de largeur dans son diamètre supérieur. Le dessus de la forme sera recouvert par un cuir de vache lissé qui sera rabattu sur le rebord du feutre de la largeur de 3com et cousu solidement …La plaque sera en cuivre, orné de l’aigle impérial en relief et du numéro de corps estampé à jour.»
Les premiers  shakos « commencèrent à être délivré dans le courant de l’année 1807.
Mais il y avait les règlements et la réalité. En fonction donc des approvisionnements,  de la mode militaire, de la fantaisie des colonels.
Cela agaçait d’ailleurs ton empereur qui en novembre  1810 avait chargé son ministre de l’administration de la guerre de faire connaitre aux généraux commandant les divisions militaires, aux Préfets inspecteurs et sous inspecteurs aux revues, et au conseil d’administration des corps d’infanterie de ligne et légère  son« l’intention express que les corps ne s’écartent en aucune manière de l’uniforme qui leur est assigné par les règlements militaires et que toute dépenses de luxe soit sévèrement rejetée…»
Suivait un rappel en douze points signé Jean-Gérard Lacuée, le comte de Cessac, le ministre de l’administration de la guerre. Le 3ème de ces 12 points annonçait ainsi la suppression des plumets, « exceptés pour les colonels, des majors et les chefs de bataillon ou s’escadrons, celui de colonel sera blanc…»
Cher cousin, pourquoi donc portes-tu sur ton shako un plumet de colonel ? Enfin une sorte de plumet de colonel puisque le tien est noir et blanc.

Le règlement de 1810 cherchait également à uniformiser les plaques des-dit shakos. Elles devaient être en forme de losange, et alors que sur beaucoup de modèles existants, l’aigle impérial occupait la place centrale, cet espace devait être réservé au numéro du régiment. Mais cette décision sera peu appliquée, et comme l’explique très précisément Christian Blondieau dans « Aigles et Shakos du premier empire », c’est une variante fantaisie de la plaque de 1810, avec dans sa partie supérieure  un aigle, et dans sa partie inférieure, un « soubassement en forme de bouclier à l’antique »  avec des têtes de lion aux extrémités,  qui deviendra celle du règlement de 1812. Mis à part le plumet, c’est le shako de ton portrait, le modèle exact de celui qui a été découvert dans le charnier de Vilnius…Nous en reparlerons, très bientôt.
L'uniforme du fusilier dans la revue "Napoléon1er"
J’ai également trouvé ce qui ressemble bien à un modèle-type dans un grand article consacré à l’organisation et l’uniforme de l’infanterie napoléonienne publié par la revue Napoléon 1er, de mars-avril 2001. Je me suis d’abord amusée à vérifier que sur le revers de l’uniforme de ton portrait, tu portais bien les 7 boutons du modèle.
Mais tes épaulettes sont loin, elles,  d’être réglementaires, par leur forme et par leur couleur. Je suis désolée de te le dire, elles devraient être bleues et non pas rouges ; le rouge, c’était la couleur de celles de l’infanterie légère.  Je me demande aussi où sont passées les pattes de tes parements, au bout de tes manches ?  Je te rassure. Je ne suis pas devenu tout d’un coup une spécialiste en uniforme, c’est Thierry V du Musée de l’Armée des Invalides qui a relevé ces détails insolites. Mais est-ce ton uniforme qui n’était pas réglementaire, ou est-ce que c’est l’auteur du portrait qui a pris des libertés avec le règlement, n’étant pas lui-même militaire ? Ce qui nous renvoie à l’hypothèse Louis Mélino.
Quelques mots encore à propos de ta coupe de cheveux, «à la Titus ». Là encore, c’est le règlement qui a imposé les cheveux courts. Dans leur livre consacré à « L’uniforme et les armes des soldats du premier empire », Liliane et Fred Funcken précisent que  « les cheveux des fantassins étaient liés en queue au début de l’empire. Seuls quelques-uns avaient les cheveux coupés courts « à la Titus » à l’instar de Napoléon qui devait à cette coiffure son surnom de « petit tondu ». Les queues atteignaient parfois des dimensions étonnantes et leurs possesseurs s’en montraient très fiers. Ils durent cependant s’incliner et se résoudre à sacrifier cet ornement aux ciseaux des perruquiers ».
Et bien, cher cousin, cette coupe, elle te va très bien.