mardi 9 novembre 2010

Le rentier d'Armentières

Cher cousin,
C’est déjà la 25ème lettre que je t’envoie et je te propose de revenir là où l’année dernière, j’ai commencé mes recherches, dans la ville de la famille de ta mère, à Armentières. C’est là que vivait l’homme qui a donné, sans le savoir, une bonne raison à la famille pour continuer à te chercher. Il s’appelait Joseph  François  Xavier Castrique. Il était assez riche pour l’époque. Et tu étais un de ses héritiers.
L’une des mes premières pensées en découvrant l’histoire du rentier d’Armentières, c’était une question ; pourquoi n’avait-il pas payé pour t’éviter la conscription ? Le remplacement d’un conscrit par un autre avait été autorisé par la loi du 8 mars 1802. Mais il fallait  payer le remplaçant, et en 1807, cela coutait tout de même déjà en moyenne un peu plus de 3000 francs. Peut-être ne te connaissait-il pas, ou avait d'autres projets pour son argent.
Il a fallu plusieurs voyages dans cette petite ville du nord de la France, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Lille, à la frontière avec la Belgique, pour comprendre quel était le lien entre toi, et cet homme, pour reconstituer les branches cassées de cette partie de notre arbre généalogique.
J’ai fini par arriver à cette conclusion ; le père de ton arrière-grand-mère Scholastique Castrique  qui se prénommait Adrien et était charpentier, avait un frère, Pierre François qui exerçait la profession rare de chirurgien. Et le Joseph François Xavier  Castrique, dont tu devais hériter, était l’un de ses enfants.
Né en mars 1731, c’était un notable. Il aurait même représenté Armentières  à l’assemblée préliminaire des trois ordres le 16 mars 1789. Il avait aussi beaucoup d'activités sociales, était par exemple membre du conseil municipal de bienfaisance et administrateur des hospices. Il s’était enrichi dans le commerce, il était marchand. En février 1763, il avait épousé  Catherine Bernardine Becquart. Dans les registres de l’état-civil d’Armentières, je n’ai pas trouvé trace d’enfants. Et il était veuf quand il est  mort dans sa maison de la rue des Glatignies en juillet 1814. Je me suis promenée dans cette rue qui porte aujourd’hui le nom du président Kennedy.  Les archives gardent le souvenir d’une « maison Castrique », était-ce la sienne ?
Le 6 novembre 1813, Joseph François Xavier  Castrique dicte son testament à Me André-Alexandre-Joseph Boussemaev (ou Boussemart*), devant toute une série de témoins « requis et appelés », deux adjoints de mairie, le receveur de l’enregistrement et un négociant en toiles.
Joseph François Xavier  Castrique  était un homme non seulement prévoyant mais qui savait précisément ce qu’il voulait. Devant le notaire, il est donc entré dans le détail :
« Je veux et ordonne que le plus tôt possible après mon décès, mon corps présent si faire se peut, il me soit célébré un service de seconde classe, que pendant icelui il soit déchargé pour le repos de mon âme le plus de messes basses possible à la rétribution de un franc cinquante centimes chacune, et qu’il soit payé aux quatre porteurs de mon corps à la sépulture, à chacun trois frans, que par-dessus les dites messes il en soit encore déchargé, pour le repos de mon âme et celles de mes frères et sœurs, le plus tôt possible le nombre de trois cents, à la rétribution d’un franc chacune.»
Puis il a prévu dans le détail encore, la répartition de ses biens en commençant par «  la fille qui sera à mon service au moment de mon décès ». Il lui a légué «la somme de trois cents francs une fois, et la garde-robe en bois de chêne qui se trouve en la salle de la maison où j’habite, par-dessus ses gages de l’année qui sera alors mourante. »
Suivent quelques dons particuliers, un service d’argent parfois complété par un somme d’argent à chacun de ses trois filleuls et sa montre en or à Aimable Dammaert Fils, un de ses amis ?
Il paye ensuite ses dettes, et partage  en deux «tous ses biens tant meubles qu’immeubles ». Combien d'immeubles, je ne sais pas. Et l'un de cette moitié sera encore découpée en trois parties destinées à deux rentiers de Lille, et aux descendants de parents de sa mère. Et il destinera l’autre moitié, à tous les « enfants et petits enfants et autres descendants à divers degrés qu’ils soient par représentation de Christophe Ribeire et Scholastique Castrique mes héritiers et parents paternels ».
Christophe Ribeyre ou Scholastique Castrique, tes arrière-grands-parents. Combien étiez-vous à pouvoir ainsi hériter du rentier d’Armentières ? Cher cousin, il fait déjà nuit. Je te raconterai la suite dans ma prochaine lettre.

* Dans nos vieux documents, le notaire s'appelait André Alexandre Joseph Boussemaev. Mais un expert du forum des généalogistes du Nord-Pas-de-Calais me signale qu'il s'agit peut-être d'André Alexandre Boussemart, lui aussi notaire à Armentières. Le nom du second serait-il la francisation du nom du premier? Cela serait une bonne nouvelle, puisque de même source, les dossiers du notaire Boussemart sont conservés par les archives du département du Nord.