lundi 22 novembre 2010

L’inventaire des biens du défunt

Cher cousin
Je suis désolée de ce retard, presque deux semaines sans t’écrire, mais voilà, j’ai encore eu la chance de faire une belle découverte, et je n’ai pas encore fini de tout déchiffrer. Mais j’ai trouvé, comment dire, un trésor…
Mais commençons par le commencement. Je t’avais raconté ce que je savais de l’histoire du rentier d’Armentières, et de son testament dicté le  6 novembre 1813. Quelques mois plus tard, il était mort ; Joseph  François  Xavier Castrique s’est éteint chez lui,  rue des Glatignies,  le 26 juillet 1814. Des scellés sont posés sur la porte de la maison, mais aussi sur celles des chambres.
Mais si son testament était en notre possession, il me manquait l’inventaire de ses biens pour comprendre à quel point ce rentier était riche, et pourquoi la famille avait passé des années à tenter de récupérer ta part d’héritage. Cet inventaire, je l’ai enfin découvert la  semaine dernière grâce aux bons conseils d’un expert du Forum des généalogistes du Nord.  C’est difficilement compréhensible, et c’est une hypothèse que je n’avais pas envisagée, mais ce notaire, selon les différents documents, s’appelle  Boussemaev, Boussemaer ou encore Boussemart, presque un sujet d’enquête à lui tout seul.
Avec cette dernière orthographe, aux Archives départementales du Nord et sous la cote J-1810, j’ai fini par trouver un petit cahier relié et jauni retraçant le long inventaire des biens de Joseph François Xavier Castrique. Une vingtaine de pages au total, la visite du  notaire, de l’exécuteur testamentaire et des héritiers présents va se prolonger pendant deux jours.  
Dés bas de la première page, il est question de toi cher cousin, puisque  les requérants disent qu’ils «agissent aux besoins pour François Louis Vandevoorde, absent et dont l’existence est incertaine, n’ayant pas reçu de nouvelles de lui depuis plus d’un an ».
L’inventaire commence le 16 aout 1814 à 9h dans « la pièce d’entrée, au rez-de-chaussée, à gauche du vestibule, ayant vue sur la rue »  avec deux chenets, deux pincettes, une pelle à feu, une petite grille, un hachoir, une paire de ciseaux ; le tout estimé à 9 francs.
Suivent deux chaudrons, une bouilloire, une petite casserole, deux marmites de cuivre pour environ 36 francs. Et ainsi de suite, de paragraphe en paragraphe, je note un peu au hasard ou en fonction de la lisibilité de l’écriture… une théière, une louche, des assiettes, trois soupières, une cruche, deux jattes de terre, un petit pot à fleurs, deux cafetières, un miroir, un fauteuil matelassé et trois tables… total à la fin de la deuxième page : 143 francs.
Des armoires, des assiettes, un moutardier, des marmites, un moulin à moudre le café, une petite lanterne, une autre cafetière, et une soupière portent le total à 180 francs.
Puis « attendu qu’il est midi, la séance a été levée ». Elle reprendra à 14H, avec dans la même pièce, une armoire antique, deux lampes, un chandelier, un traineau ( ?), trois bonnets de coton, un autre de laine, une lanterne… Puis «  dans la pièce suivant la précédente », une table et douze chaises et un fauteuil en bergère, une chaise percée, des rideaux ; des draps, des oreillers…
Et ainsi de suite et je te laisse imaginer  le notaire et sa suite passant ainsi de pièce en pièce, sans doute d’étage en étage, sans plus de précisions, soupesant et évaluant chaque objet. Dans la chambre de la servante, j’ai relevé deux tables, une chaise percée, un dentier, un mauvais fusil et un sabre…
 La visite continue dans le vestibule du grenier, dans  la chambre de la sous locataire, et voilà la chambre « où couchait le défunt ».  Deux lits, une table à jouer, un fauteuil, une chaise percée, un sac avec du froment contenant environ un hectolitre et demi (25 francs), un panier avec quatre perruques (1 franc), un bénitier, 12 paires de bas, sept habits de drap, 13 vestes et gilets de différentes espèces (15 francs), 2 gilets de soie, une vieille redingote, 32 mouchoirs, seize chemises (48 francs) , 2 chapeaux, et 26 autres chemises (52 francs), et ainsi de suite... Puis il y a le grenier où se trouvent entre autres objets une petite cage à poulet et un pétrin, le vestibule du rez-de-chaussée,  la cave sur le devant, une autre petite cave, et dans le jardin un laurier, deux grenadiers et 47 pots de terre.
J’ai gardé ce que j’appelle le trésor pour la fin.  Le notaire et sa suite vont le découvrir dans un buffet antique, près de la cheminée… A l’intérieur, des plats, deux saladiers, une terrine, un panier contenant six tasses de porcelaine brune, vingt essuie-mains…Et du numéraire. Autrement dit de l’argent en pièces de monnaie… Je te livre le décompte, tel qu’il figure dans l’inventaire :
-Huit cent quatre vingt onze pièces de cinq francs faisant ensemble quatre mille quatre cents cinquante cinq francs – 4455
- Une pièce de vingt francs – 20
-Trente cinq pièces de cinq francs quatre vingt centimes, faisant ensemble deux cents trois francs – 203
- Onze pièces de deux francs soixante quinze centimes faisant trente francs vingt cinq centimes - 30,25
-Trois Louis d’or de quarante francs vingt  faisant 141, 60
- Treize Louis de vingt trois francs soit 306,15
- Et quatre Napoléon de 40 francs – 607,75
Le tout pour un total de 5916 francs*, l’addition a été faite dans la marge. Pour te donner une idée, la solde annuelle d'un colonel de la Grande Armée s'elevait à 5000 francs.
Cher cousin, je vais arrêter là pour aujourd'hui. Cette partie de l’inventaire s’achève le 17 aout à midi. Il reste les « titres et papiers ». Quatre pages un peu difficiles à déchiffrer. Tu seras le bien informé.
*Notons pour d'éventuels lecteurs de 2010 que cela représenterait plus de 30.000 euros.