vendredi 17 septembre 2010

Eurêka !

Cher cousin, 
Ce matin là, j’étais retournée aux archives municipales de la mairie de Lille. Puisque selon le registre de l'armée de terre, ta déclaration d'absence avait été enregistrée en 1823,  je me demandais tout simplement combien de temps tes parents t’avaient attendu. Jusqu'à leur mort sans doute. Alors je me suis lancée dans la recherche de leurs actes de décès. J’ai d’abord trouvé celui de ton père dans le recueil de la paroisse Saint-Maurice, la plus proche de votre domicile. J’ai le regret de t’annoncer qu’il est mort un peu plus d’une année après ta disparition, le 14 février  1814. Il avait 58 ans. La cause n’est pas précisée. Peut-être le chagrin. Je peux juste te préciser que ton oncle, Louis Ribeyre, s’est occupé des démarches.

Là, il faut que je te fasse une confidence, juste entre nous:  j’ai parfois tendance à confondre vitesse et précipitation. Mais cette fois, ce  -petit- défaut s'est révélé bénéfique.  En moins de dix minutes, j’ai  trouvé et photographié (il faut que je te reparle de cette petite machine qui sert à reproduire des images)  l’acte de décès de ton père. Sans prendre le temps de le lire dans le détail, j’ai aussitôt pris un autre registre, à la recherche de celui de ta mère. Je n'ai donc pas remarqué qu’à la cinquième ligne, il était spécifié qu’au moment de sa mort, ton père était veuf.  Au lieu de remonter le temps, je me suis donc plongée dans l’état-civil des années suivantes, 1815, puis 1820, d’une paroisse à l’autre…

Je commençais à regretter de ne pas avoir pris une loupe, tant parfois, les différentes écritures étaient difficiles à déchiffrer, quand … ton nom et ton prénom sont apparus dans l’index de celui de l’année 1825 : Vandevoorde, François Louis.
S’agissait-il d’un homonyme, d’un cousin auquel ton prénom aurait été attribué ? Si tu avais vu l’Empereur franchir le Niemen en marchant sur l’eau,  tu n’aurais pas été plus surpris que je l’ai été ce jour-là, en découvrant ainsi, par hasard,  ton acte de décès. 13 ans et trois mois après ta disparition dans la tragédie de la Retraite de Russie,  tu étais officiellement déclaré mort, et ton acte de décès avait été enregistré à l’état civil le 24 mars 1825,  « après un jugement du tribunal de Lille ».
Enfin une piste. J’ai récupéré très vite mes affaires dans le casier vert sombre qui m’avait été attribué, rendu la clé, failli oublier ma carte d’identité, me suis trompée de porte en sortant, avant de m’engouffrer dans le métro. Etape suivante, les archives départementales. C’était le seul endroit où ce jugement pouvait avoir été sauvegardé. D’abord trouver la côte des décisions du tribunal civil pour l’année 1825. Remplir au mieux le formulaire, et attendre que le-dit registre soit transféré hors du dépôt. Puis je me suis installée à la première place disponible, le lourd dossier ouvert par ses dernières pages, par l’index où sont récapitulées par ordre alphabétique les affaires traitées. Vandevoorde ! page 172. Je te cite ce jugement presque intégralement :
 « Audience tenue par la première chambre du Tribunal de Lille siégeant le jeudi dix mars 1825.
Sur la requête de Louis Melino, imprimeur en taille douce demeurant à Lille et de dame Catherine Ribeyre, son épouse, ayant pour avoué Louis Desrousseaux, tendant à faire prononcer le décès de Jacques-Joseph Vandevoorde (une erreur d’écriture, JJ Vandevoorde, c’est bien évidemment ton père).
« Selon le rapport du juge Daud,et du (une tâche d’encre sur un mot) juge Delespaul faisant fonction de procureur du Roi, considérant qu’il est prouvé par l’enquête en date du 24 février dernier, enregistré le 2 mars du présent mois que François Louis Vandevoorde est mort par suite de ses blessures à Wilna  le 8 décembre 1812.
Le tribunal déclarant le décès suffisamment prouvé ordonne que pour tenir lieu d’avis de décès de François Louis Vandevoorde, né à Lille le 8 mai 1787, le présent jugement sera inscrit au registre de l’état civil de la ville de Lille.  A ce faire toutes dépositions autorisées et si besoin sous la contrainte».
Le jugement était un peu difficile à lire, mais l’essentiel était dit. Il était « suffisamment prouvé », par « l’enquête » que tu  étais mort à Vilnius le 8 décembre 1812 des suites de tes blessures… C’était la preuve qui manquait. Mais bien des questions restaient sans réponses…Un peu de patience, cher cousin. Tu en sauras plus dans ma prochaine lettre.