jeudi 9 décembre 2010

La dette du curateur

Cher cousin
Dans ma dernière lettre, j’imaginais tes co-héritiers en train de regarder partir avec les 846,76 francs de ta part de l’héritage Castrique, et tes deux services d’argenterie,  le curateur chargé de te représenter, puisque tu étais « absent ». D’autant plus « absent » que tu étais mort.

Il me manque des  épisodes, des récriminations et des procédures pour te faire un récit complet de la suite des évènements. Mais je peux te parler de l’accord conclu  six ans plus tard, le 18 octobre 1820.
Tous les protagonistes du partage de 1814 ne sont pas là. Ou ils désapprouvaient la démarche, ou ils étaient morts eux-aussi. Disparues, Marie Joseph Ribeyre, la dentellière de Lille et Charles Louis Ribeyre, l’autre « absent militaire» qui a bien failli échapper à la conscription grâce à son statut de fils unique d’une mère veuve. Sur son cas, l’enquête continue.
Parmi les présents,  Louis Ribeyre, chaudronnier à Armentières, qui parle en son nom et représente  Catherine Thérèse, encore mineure, elle vient d’avoir 18ans. L’année suivante, elle se mariera  avec Louis Mélino.  Un nouveau venu ;  Jean-Baptiste Herbaut, serrurier à Armentières qui dans l’intervalle a épousé Claire Ribeyre, la sœur de la précédente. Il intervient donc  « au nom et comme mari et bail » de celle-ci.
Il y a aussi les enfants de Louis Bernier, le curateur. Pourquoi sont-ils là ? Parce que leur père est décédé. Le document précise qu’il est « décédé rentier » et qu’il avait été nommé « mal à propos ». Il y a là son fils, le sieur Jean-Baptiste-Marie-Pierre Bernier employé dans les contributions indirectes et ses trois sœurs, delle Antoinette-Louise-Henriette, Félicité-Catherine et Narcisse-Flore Bernier, tous  demeurant à Lille.
L’article 1 de ce règlement est très explicite : «Mal à propos et sans motif il a été nommé le 12 octobre 1814 un curateur, le Sieur Louis Bernier défunt au nommé François-Louis Vandevoorde absent et par suite un quart de la part revenant à la ligne paternelle du Sieur Castrique lui a été attribuée et touchée par le Sieur Bernier puisque le dit Vandevoorde, étant absent et son existence n’étant pas reconnue, la succession devait être recueilli entièrement par les soussignés de première part aux termes de l’article 136 du Code Civil.»
L’article 2 rentre dans le détail des sommes dues,  prévoit le calcul des intérêts et le calendrier de remboursement : «Le quart attribué aux Vandevoorde s’est monté à la somme de huit cent quarante six francs soixante seize centimes et a été touché par le sus-dit Sieur Bernier, en sa qualité le 15 novembre 1814. Depuis cette époque, le Sieur Bernier n’a rendu compté à qui que ce soit. Il est dû des intérêts à cinq pour cent de la dite-somme depuis le dit jour 15 novembre 1814 jusqu’à aujourd’hui pour cinq ans et onze mois, une somme de deux cents cinquante deux francs vingt huit centimes qui joint à la somme principale, donne maintenant un capital de mille quatre vingt dix neuf francs quatre centimes. Le Sieur et Demoiselles Bernier ci-dessus dénommés s’obligent solidairement à rembourser la dite-somme aux soussignés de première part avec les intérêts légaux à  raison de cent vingt francs par chaque terme de remboursement , les intérêts décroissant en proportion des dits remboursements. Le premier payement de cent vingt francs se fera le premier janvier 1822, le second le premier janvier 1823 et ainsi à continuer jusqu’à parfaite libération.»
Ils sont partis pour payer pendant presque une dizaine d’année ; peut-être moins puisque l’article 3 va jusqu’à prévoir que le fils du curateur pourrait avoir une augmentation, qui lui permettrait de rembourser plus vite : « Le montant de chaque terme de payement a été calculé sur le dixième des appointements de Monsieur Bernier comme employé, de sorte que s’il venait à avoir par la suite une place qui lui rapportât des appointements fixes plus élevés, il paierait à chaque terme le dixième de ces mêmes appointements.»
Ton éventuel retour leur semble peu probable :  «Si contre toute attente, Mr Bernier était recherché ou inquiété, fait par l’absent qui pourrait revenir ou pour tout autre, les soussignés de première partie s’obligent solidairement à prendre fait et cause, et même rapporter les sommes qu’ils auraient touchées pour le cas où ce rapport pourrait être ordonné.»
Ton argenterie n’est pas oubliée. Elle  «sera remise aux soussignés de première part aussitôt la levée des scellés. Il en sera donné décharge au Sieur et Demoiselles Bernier ».
Avec ce document signé Bernier, Louis Ribeire  et Bte Herbaut se termine l’affaire de l’héritage Castrique.  Mais il y en a sans doute un autre, peut-être celui de ton père. Ce qui expliquerait la nomination en novembre de la même année d’un administrateur de « tes » biens, une nouvelle requête auprès du ministère de la Guerre en 1822, la procédure d’absent militaire en 1823  et la déclaration de décès de 1825.
J’espère, cher cousin, progresser prochainement sur cette piste.