dimanche 3 octobre 2010

Les deux conscrits

Cher cousin,
Comme je te l’avais promis dans ma dernière lettre, je me suis lancée sur la piste de Jorge Dujardin, le témoin surprise, celui qui avait reçu 25 francs pour avoir « donné tous les renseignements possible » sur les circonstances de ta mort. 

Et je l’ai trouvé, assez facilement, dans les archives de l’armée de terre, au Château de Vincennes. Son nom orthographié Dujardin Georges, figurait dans l’index du registre du 21ème de ligne référencé 21YC190: Dujardin Georges: « Né le 1er avril 1787 à Hem, canton de Lannoy. Taille 1,67 mètre. Nez : épaté. Sourcil châtain clair. » Cheveux : un drôle de petit dessin, était-il chauve? Matricule : 5547. A quelques numéros de ton 5559. 

Lui aussi était arrivé à Juliers le 21 février 1807. A peine 3 lieues (12km) séparent Lille de Hem. Vous étiez presque voisins, deux apprentis soldats venus du Nord, encore en habits civils, qui vont parcourir à pied une centaine de lieues (400 kilomètres). En s’époumonant peut-être avec la chanson des conscrits:

« En sont deux jolis cadets
Ils nous font tirer au sort, tirer au sort, tirer au sort,
Ils nous font tirer au sort
Pour nous conduire à la mort ! » 

Vous vous connaissiez, étiez peut-être, sans doute, amis.
Toujours vêtu de ton uniforme de parade, je viens de te voir – je l’ai imaginé ? – en train de sourciller. Drôle d’ami sembles-tu penser que celui qui se fait payer pour donner des nouvelles d’un mort à sa famille. 

Ne soit pas si sévère. Pour les ex-soldats de l’empire, le retour à la vie civile s’est bien souvent traduit par un déclassement social. Le statut d’ancien combattant n’existait pas. Et pour recevoir une pension, il fallait trente ans de service. 

Georges Dujardin a donc rejoint le 21ème de ligne en même temps que toi. Puis le registre précise qu'il a été blessé à la jambe à la bataille de Wagram le 5 ou le 6 juillet 1809. Que lui est-il arrivé ensuite ? A-t-il vraiment survécu à la campagne de Russie ? La suite au prochain épisode, cher cousin…