samedi 19 juin 2010

Déserteur?

Cher Vandevoorde,
En cette fin juillet, des copies d’un registre que m’envoient les archives de l’armée de terre indiquent que tu as déserté. Toi, François Louis Joseph Vandevoorde, un déserteur ? Mais comment la famille va-t-elle accueillir la nouvelle ?:)
Revenons aux faits : selon le registre du 21ème Régiment de Ligne, tu as déserté de février 1811 à septembre de la même année. Aucune trace de sanctions, ni même d’ailleurs d’amnistie dans le registre qui stipule simplement que tu as réintégré ton régiment en septembre et que tu as hérité d’un nouveau matricule. Et pourtant selon un arrêté du 12 octobre 1803 coté dans le Dictionnaire de la Grande Armée d’Alain Pigeard, les déserteurs risquaient la mort, le boulet (traîner un boulet de calibre huit attaché à une chaîne de fer à la jambe gauche), les travaux publics et dans tous les cas une amende.


A la recherche d’explications sur ta "désertion", j’ai trouvé mention d’une famine dans la Grande Armée durant cette année 1811. Ainsi que des préparatifs pour la campagne de Russie. Le 21 janvier, Napoléon a écrit à Davout pour lui annoncer l’envoi à son armée d’un nouveau régiment français d’infanterie légère et de quatre régiments hollandais : «Ainsi votre corps d’armée représenterait tout compris une force de 80.000 hommes que je voudrais avoir disponible pour former l’avant-garde et porter où cela serait nécessaire.» Est-ce que ce sont ces préparatifs – dont vous ne pouviez pas ne pas entendre parler – qui t’ont inquiété ? Ou l’envie de rejoindre ta famille ?




L’empereur lui continue à renforcer ces troupes. Nouvelle lettre, assez amusante, à Davout le 1er mars : «Mon cousin, j’ai besoin de 3.000 marins, de marins et non pas de portefaix, de marins et non pas de mousses, de marins et non pas de la canaille du quai de la ferraille. Prenez des mesures pour me procurer ces marins à Hambourg, à Lubeck, à Bremen, à Varel, à Papenburg etc...Ps : n’envoyez que de bons marins ; ce n’est pas des hommes que je veux mais des marins ayant beaucoup navigué».


Cette question des déserteurs taraude Napoléon, même s’il fait des efforts de diplomatie avec «son cousin Davout». Ainsi cet extrait d’une lettre datée du 3 novembre : «Mon Cousin, vous n’êtes pas exactement instruit des désertions qui ont lieu dans votre corps d’armée. Les colonels vous peignent tout en beau ? Vous avez beaucoup de malades, et surtout de déserteurs, qu’on ne vous en accuse ? Donnez des ordres positifs afin d’avoir des rapports exacts des corps. Il faut accoutumer les corps à rendre des comptes fidèles de tout ce qui se passe».


En mars 1810, une amnistie avait été prononcée à l’occasion du mariage de Napoléon. A cette époque, toujours selon Alain Pigeard, un rapport présenté à l’empereur avait dénombré 30.775 déserteurs.
Notons encore que ta « désertion » ne sera pas mentionnée par les registres suivants. Et elle ne figurera pas dans les documents envoyés ensuite à ta famille.