jeudi 22 juillet 2010

Dans la presse, une "suite de triomphes"

Cher Vandevoorde,
De la tragédie de Vilnius, que pouvait savoir ta famille ? Rien. Tout au long du mois de décembre, le Journal Départemental du Nord, que lisait peut-être ton père, s’est bien gardé d’annoncer de mauvaises nouvelles.
Ainsi le 4 décembre, c’est la guerre d’Espagne qui est à la une. Il faut aller en page 3, pour trouver un article daté du 1er décembre qui donne des nouvelles – rassurantes - de Wilna- Vilna-Vilnius (l’orthographe va varier au fil du temps) :

« Des lettres récentes datées de Wilna annoncent que les magasins de la Grande Armée sont abondamment pourvus de toute espèce de provision. D’après cela on n’a pas la moindre inquiétude pour la subsistance de nos troupes pendant le temps qu’elles resteront en quartier d’hiver. On, a pourvu à l’habillement des soldats de manière qu’ils n’auront pas à souffrir des rigueurs du froid. La surveillance éclairée des chefs des administrations s’étend jusqu’au moindre détail. Le peu de malades qui se trouvent à l’armée est soignée avec une attention particulière et en voyant mouvoir avec tant de précision tous les ressorts des diverses administrations on reconnait l’influence du génie prévoyant de Sa Majesté l’empereur qui veille sur ses enfants, Sa Majesté continue à jouir d’une bonne santé. »
"Le froid est bon pour la santé du soldat"
Le vendredi 11 décembre, le JDN publie un article daté du 7 décembre qui commente des lettres particulières de Vilna daté du 25 novembre « selon lesquelles le mouvement de la grande armée a été continue et que Sa Majesté l’empereur jouit d’une bonne santé …on s’occupe à Vilna de fêtes publiques et de réjouissances. La gaité française s’est communiquée aux habitants de la Lituanie qui se montrent digne de l’indépendance qui leur est assurée par le génie de Sa Majesté l’empereur.»

Le 13 décembre, le journal déplore les malheurs d’un conscrit de 1813 «que l’honneur et le devoir appelait au service militaire» mais « qui eût la faiblesse de recourir aux artifices du charlatanisme dans la vaine espérance d’obtenir une réforme, deux femmes s’emparèrent de cet imbécile... et il est mort de des suites de l’infernale opération, brulé au nitrate mercuriel liquide ».
Le 15 décembre, toujours des nouvelles rassurantes de Vilnius même si «le matériel et la cavalerie ont un peu souffert ».
16 décembre idem avec une lettres de Vilnius daté du 1er décembre qui précise que « les troupes n’avaient pas soufferts mais les chevaux de la cavalerie avaient éprouvé des fatigues à cause du mauvais état des chemins…cependant les pertes qu’on avait fait n’étaient rien en comparaison de celles de l’ennemi qui a souffert bien davantage ».
Le 18 décembre, cette information: «La Seine a été prise aujourd’hui par les glaces.»

Le 19 décembre,Wilna fait enfin la une, avec de «bonnes nouvelles» des armées et des combats et ce commentaire sur les conditions météo : « Le froid qui règne dans la Lituanie est assez vif, mais il est bien préférable aux pluies et à l’humidité de l’atmosphère…on s’habitue aisément à ce froid sec qui favorise d’ailleurs la santé du soldat…»
Pardonne-leur Vandevoorde, ils ne savaient pas, eux non plus.

Le 20 décembre, avec la publication du 29ème bulletin de la Grande Armée daté du 3 décembre, les nouvelles deviennent plus dramatiques, pour les chevaux : « Les chevaux de cavalerie, d’artillerie de train périssaient toutes les nuits, non par centaines mais par milliers…plus de 30 000 chevaux périrent en quelques jours…Il fallut abandonner et détruire une bonne partie de nos pièces et de nos munitions de guerre et de bouche…» Mais aussi pour le moral des soldats: «Des hommes que la nature n'a pas trempés assez fortement pour être au-dessus de toutes les chances du sort et de la fortune parurent ébranlés, perdirent leur gaieté, leur bonne humeur, et ne rêvèrent que malheurs et catastrophes ; ceux qu'elle a créés supérieurs à tout conservèrent leur gaieté et leurs manières ordinaires, et virent une nouvelle gloire dans des difficultés différentes à surmonter.»


Le 22 décembre, pas de gros titre pour annoncer que Napoléon a quitté son armée. Il faut le déduire de la nomination du roi de Naples à la tête de l’armée et de l’arrivée de Sa Majesté à Dresde. Après avoir lu un  grand article consacré à la gloire de la Grande Armée et à l’admiration qu’inspire « la fermeté héroïque et le puissant génie de l’empereur » : « Il n’y a jamais eu de spectacle plus frappant que celui de l’armée française au milieu d’un pays ennemi, privé en huit jours de son artillerie, de ses transports et de presque toute sa cavalerie par l’intensité du froid…Dans cet état désastreux, le génie du souverain anime tout, prévoit tout, et prépare des ressources inattendues…la marche de l’armée française est une suite de triomphes…»


Toujours dans ce journal, cette mention : « Le dernier bulletin de la Grande Armée s’est vendu à 30 000 exemplaires dans Paris…on concevra l’intérêt puissant et général attaché à tout ce qui nous vient de la Grande Armée ».
Ou plutôt l’inquiétude croissante des familles.