jeudi 6 janvier 2011

L'Empereur qui abdiqua deux fois

Cher cousin,
Je me devais de te raconter ce qui s’est passé après, après la dramatique campagne de Russie. Je préfère te prévenir. L’histoire va mal se terminer. La tragédie  russe est suivie par de nouvelles défaites en Allemagne, puis c’est la campagne de France. Tu as bien lu, c’est en France que se sont ensuite déroulés les combats. Le 23 décembre 1813, 120.000 Autrichiens passent la frontière en entrent en Alsace.  La Grande Armée anéantie en Russie, c’est à la tête des « Marie-Louise », surnom donné aux très jeunes conscrits imberbes des classes 1814 et 1815 appelés dés 1813, que  Napoléon doit faire face à une alliance entre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, la Russie, la Prusse et l'Autriche. C'est la mobilisation générale.  

 Dans son Histoire populaire de Lille, Henri Bruneel raconte que « la ville avait été mise en état de siège ; la garde nationale était sous les armes, nos canonniers se tenaient nuit et jour, mèche allumée, aux batteries des remparts, les alliés n’osèrent même pas tenter un siège d’ailleurs ils n’avaient pas de temps à perdre, ils marchaient sur Paris ».

Paris tombe à l’issue d’une bataille meurtrière à la fin du mois de mars, et le 31, les Russes défilent sur les Champs Elysées. Ton père ne le saura pas, il est mort le 14 février.
Les Russes défilent dans Paris
Le baron de Bourgoing raconte dans ses souvenirs qu’au général prussien Gneisenau qui lui demandait  « Monsieur, que vont dire les dames de Paris en voyant leur ville prise ? », il répondit  « les dames de Paris, Monsieur, se consoleront avec celles de Vienne, de Berlin, de Naples et de Moscou ».
Dans une note sur la situation actuelle de la France écrite le 12 janvier de cette année là, Napoléon avait donné comme ordre de ne «  faire aucun préparatif pour abandonner Paris et l’ensevelir sous les ruines s’il le faut ». Heureusement, cette consigne n’a pas été appliquée. Pas plus que ce souhait exprimé dans cette lettre au  roi Joseph datée du 8 février 1814 : «Quant à mon opinion, je préfèrerai qu’on égorgeât mon fils plutôt que de le voir élevé à Vienne comme prince autrichien ». L’Aiglon ne sera pas égorgé, mais élevé à Vienne où il mourra en juillet 1832.
Avais-tu entendu parler des cent un coups de canon tirés dans Paris, à l’occasion de sa naissance en mars 1811 ?
Mais revenons au lendemain de cette défaite dans la presse à ton époque. Paris tombe à la fin du mois de mars ; le 1er avril le très officiel Moniteur Universel publie une  proclamation datée du 31 mars du maréchal prince de Schwartzenberg, comandant en chef des forces alliés, qui s’adresse aux « habitans de Paris ! » :
 « Les armées alliés se trouvent devant Paris. Le but de leur marche vers la capitale est fondé sur l’espoir d’une réconciliation sincère et durable avec elle… les souverains alliés cherchent de bonne foi une autorité salutaire en France qui puisse citer l’union de toutes les nations et de tous les gouvernements….la conservation et la tranquillité de votre ville seront l’objet des soins et des mesures que les alliés s’offrent de prendre avec les autorités et les notables qui jouissent le plus de l’estime publique…  » Mais comme il faut bien remplir le journal, c’est curieusement un grand article sur  la « 5ème édition de la Nosographie de M.Pinel et un coup d’œil historique sur la classification des maladies… » qui occupe l’essentiel de la une. Le lendemain c’est la littérature italienne qui jouera les bouche-trous aux cotés d’une Déclaration signée Alexandre :
« Les armées de puissances alliées ont occupé la capitale de la France. Les souverains alliés …déclarent :
-qu’ils ne traiteront plus avec Napoléon Bonaparte ni avec aucun membre de sa famille
-qu’ils respectent l’intégrité de l’ancienne France
Enfin le 3 avril, toujours à la une, Barthélémy, le président du sénat annonce un décret qui déclare « la déchéance de l’empereur ». Avant un article non signé à propos d’une audience « intéressante et touchante » donnée par Sa Majesté l’Empereur de Russie au Sénat :
 « Un homme qui se disait mon allié a dit l’empereur Alexandre est arrivé dans les Etats en injuste agresseur ; c’est à lui que j’ai fait la guerre et non à la France… pour preuve de cette alliance durable que je veux contacter avec votre nation, je lui rends tous les prisonniers français qui sont en Russie… »
Une pensée pou ton ami Georges Dujardin qui va regagner la France à la fin de cette année 1814, peut-être grâce à l’Empereur de Russie.
L’Empereur des Français lui abdique le 6 avril et est exilé sur l’ile italienne d’Elbe. Mais il  n’y restera que quelques mois. Le 1er mars il est de retour en France.  Les armées envoyées face à lui l’accueillent en héros. Et le maréchal Ney, qui avait juré à Louis XVIII de lui ramener Bonaparte dans une cage de fer, s’incline devant Napoléon. Il sera le seul maréchal exécuté pour trahison lors de la Seconde Restauration.
L’Empereur  arrive à Paris sans coup férir, autrement dit sans combattre. Le 19 mars 1815 le roi quitte Paris et arrive à Lille. « Il fallu lui dire que ce séjour n’était plus tenable pour lui » et il parti pour Gand. Le même jour « le drapeau impérial était arboré sur les édifices publics » raconte encore Henri Bruneel.
Mais les alliés se coalisent à nouveau, la France est battue à Waterloo. Tu seras peut-être fier de savoir que les villes du nord, Maubeuge, Valenciennes, Douai et Lille ont résisté face à l’ennemi jusqu’à la mi-juillet.
Grâce au 2ème traité de Paris signé le 20 novembre 1815, le Nord reste français. Mais il va subir  une lourde occupation étrangère. Celle des Allemands, des Russes et des Danois. Puis des Anglais et des Prussiens. L’armée d’occupation commandée par Wellington ne quittera la région qu’en novembre 1818.

La France occupée de 1815 à 1818

A l’issue des Cent-Jours, le 22 juin 1815, Napoléon  a donc abdiqué pour la seconde fois. Déporté et emprisonné sur l’Ile Sainte-Hélène, ton Empereur  y mourra le samedi 5 mai 1821, « à 17 heures et 49 minutes ». Son corps est aujourd’hui inhumé aux Invalides, en plein centre de Paris.


Je peux aussi de donner des nouvelles du maréchal Davout. Tu étais sous ses ordres puisqu’il commandait le 1er corps de la Grande Armée, et donc le 21ème régiment de Ligne. Il a été le seul maréchal de l’empire à ne pas avoir prêté serment au roi. « Le 20 mars 1815, il se présente au Tuilerie » raconte Jean Tulard  dans son Dictionnaire Napoléon : « Napoléon va au-devant de lui et l’embrasse ».


Mais devant la défaite, il fera partie de ceux qui devront demander à l’Empereur de quitter Paris. « Il connaitra provisoirement la misère avant de siéger à la chambre des Pairs. Le seul maréchal d’empire jamais vaincu meurt à 53 ans le 1er juin 1823 ».

Sans avoir écrit ses mémoires. Voilà cher cousin, c’est la fin de l’Histoire avec un grand H. Il faudra attendre presque 200 ans un rebondissement surprenant, grâce à quelques coups de pioches dans un chantier de Vilnius.